TOPONYMIE et ELABORATION du DOCUMENT

Pour un exposé concis et complet des méthodes de recherche toponymique ou étymologique, il faut lire l'introduction au: Dictionnaire étymologique Larousse et au: Dictionnaire des noms et prénoms de France (Dauzat), qui nous ont beaucoup servi par ailleurs. Des descriptions plus précises des méthodes et des lois de transformation des mots, notamment en zone occitane et alpine, figurent dans certains documents cités dans la bibliographie.


1. Comment se sont formés les noms de lieux?

Il est remarquable d'observer que les noms de lieux, comme de personnes, sont très stables et renvoient souvent à des situations très anciennes, parfois de plus de 2000 ans, comme Lautaret, lieu de culte d'avant le Christianisme, ou Guisane, souvenir des thermes que n'avaient pas manqué d'installer les Romains près des sources d'eau chaude du Monêtier els Bains. D'autres noms sont plus récents, d'un millier d'années seulement comme les noms de certaines paroisses devenues communes. Le Monêtier, souvenir du monas-tère créé en 827. D'autres sont très récents comme la piste de ski Luc Alphand à Chantemerle (2000), mais le nom même est ancien. Les cartes (Cadastres, cartes de Cassini, cartes d'Etat Major et plus récem-ment cartes Michelin) et les relevés (textes juridiques, chartes, documents notariés) ont pris le relais de la mémoire pour maintenir ces noms, parfois en les déformant.

Ce sont principalement les habitants du lieu qui ont nommé chaque endroit, pour se repérer mutuellement. Les personnes étrangères à la vallée n'ont eu un pouvoir de désignation qu'exceptionnellement, et dans la mesure où ils avaient autorité: conquérants, princes, autorités religieuses, et plus tard, administration locale ou centrale.

La création de noms n'est pas un processus raisonné mais laisse la place au sens pratique, à une observa-tion aiguë de la nature et de ses habitants, à la poésie (Chantemerle), l'humour, la dérision. La collision entre mots de sens complémentaires a joué un rôle certain (clap: tas et lapis: pierre auraient donné clapas: tas de pierre). Il y a des erreurs de transcription, souvent des francisations, faute de parler patois ou au moins de le respecter. Ainsi Cassini, remarquable topographe, était piètre toponymiste. Même l'IGN, pourtant en général bien informé, écrit soulier alors que soulié eut été mieux venu.

Il reste des ambiguïtés que seule une visite de terrain, ou une chronique précise, peuvent lever. Ainsi on ne peut savoir si un lieu dit le lau fait référence à un lac ou à un site à schistes ardoisiers ou si clot fait référence à un creux ou à une zone clôturée. Chaque catégorie a sa propre logique de dénomination, pas toujours évidente:

Noms géographiques

Ce sont les sommets (Serre Chevalier, bric, aiguille, tête, roche, crête, pointe, puy…) , les à pics abritant parfois des abris sous roche (balme), les pentes ( Les Adroits, Coste Aillauds), les sources (bagnols) torrents et les rivières (riou, rif, torrent, rivo rivet, rivaud peut-être rive, ribe…), les vallées ainsi que les installations humaines: villages, hameaux, maisons isolées. Leur nom vient de leurs caractéristiques physiques (forme, couleur (Arsine), largeur, matériaux…) de leur lieu d'implantation (de l'autre coté de la rivière, hors limites (Forville), au midi ou abrité du soleil (Avèze)), de la végétation (Fresnay), ou des animaux qu'on y trouve (corvaria, orcine) ou de leur mode de propriété ou usage (voir plus loin).

Noms agricoles

Ce sont les bois (La Pignée, Le Melezin, Le Sapey…), les prés d'en bas (pras, prat) ou d'en haut (Alpes) parfois en précisant l'usage en fin de saison (Puy d'Arrieu), les champs ou jardins (Les Aillauds, Les Artaillauds), éventuellement bordés d'arbres (Ayes), les canaux d'irrigation (Le bez, Les Béalières, Adoux, conchier) en fonction de leur position, la qualité de leurs terres, leur usage. On trouve aussi beaucoup d'animaux domestiques: l'Agnier, Aumièyes

Artisanat

L'artisanat et la petite 'industrie ont été florissante avant d'être écrasées, la diminution des coûts de trans-port aidant, par les manufactures, la grande industrie et maintenant la mondialisation. Elle avait une clientèle locale (artisanat au service de la vie de tous les jours et de la production agricole) et parfois interrégionale. On trouve ainsi des traces des forgerons, (Le Martinet) charpentiers et menuisiers (rue de la frisette), filateurs et tisserands etc.

Historiques

Il s'agit d'événements remarquables: avalanche (Pont Vial), incendie (Maison brûlée) hommage à un roi (Chemin du Roi) ou à un personnage remarquable (Rocher de Guerre)..

Propriété foncière

Traditionnellement, les lieux pouvaient être caractérisés par le statut (La Condamine, le Ban), la dépen-dance d'un village (Puy La Salle), le propriétaire(Serre Chevalier, Champ Arnoux). Beaucoup plus ré-cemment c'est le nom de celui qui a conquis (?) tel sommet ou telle voie qui s'impose. Cette caractérisa-tion aboutit à de nombreux noms composés.

Commerce, transport, voyageurs et immigrés

On trouve des marchands, des routes avec leurs pentes et leurs cols ou passages (pas, echaillon) ou les bêtes pouvaient se repose d'une longue montée (Sestrière), des auberges (Les Alberges), et beaucoup d'étrangers (rue des peytavines)

Religions

Le christianisme a été précédé de nombreuses religions successives: celte, romain, germanique… Chacune a laissé sa marque malgré les efforts de l'Eglise catholique pour en effacer les traces. On retrouve des traces de lieus de culte (Lautaret), d'hommage à un Empereur Romain (rien dans la vallée), et bien sûr à de nombreux saints catholiques.
L'Eglise a été un moteur social et économique d'importance au moyen âge et jusqu'à la révolution de 1789. Les monastères ont été des pôles de colonisation et de peuplement, l'Eglise a installé des hospices, des écoles. Enfin elle a donné des noms de saints à la plupart des villages de la vallée.

Tourisme moderne

Pour s'adapter au tourisme, de nombreux noms ont été créés pour attirer la clientèle (Le Monêtier les bains), faciliter sa compréhension des lieux (Serre Chevalier 1400), ou du fait de la création de nouveaux quartiers (L'Aravet à Villeneuve alors que le Clos de l'Aravet, est en haut). Cette tendance et notamment celle de faire descendre les sommets dans la vallée sème une certaine confusion parmi les visiteurs non avertis.



2. Comment évoluent les noms: quelques notions d'étymologie et d'onomastique

L'onomastique est l'art d'expliquer les noms propres. Elle se divise en anthroponymie, étude des noms de personne, toponymie qui elle-même comprend l'oronymie étude des noms de lieux/sommets, et l'hydro-nymie, étude des noms de rivières. Dans le présent document tout est rassemblé dans une même liste (à partir de la page 26) car les liens entre ces diverses catégories sont fréquents dans un sens (nom de famille Caire qui viendrait du mot ancien qui signifie pierre carrée) ou dans l'autre (pré germain). On a cependant préféré séparer le lexique du parler local (page 114 et suivantes) bien qu'il permette souvent d'expliquer des noms de lieux ou de personnes.

A partir d'un terme plus ancien, la transformation d'un mot se fait par des mécanismes divers mais assez stables dans chaque zone et chaque époque. Ces transformations sont probablement dues à la prononcia-tion que la radio et la télévision n'avaient pas encore homogénéisée. Les spécialistes distinguent:

  1. L'ajout d'un préfixe ou suffixe (Agglutination)
  2. L'amputation de l'initiale d'un nom (Aphérèse ou déglutination en cas de fausse perception),
  3. La suppression d'une lettre à la fin du mot, (Apocope). Par exemple Théofredus devient Chaffrey
  4. L'abréviation, (Hypocoristique). Par exemple, Aquisanatio devenu Guisane.
  5. L'inversion de lettres: par exemple en pays gallo , breton est souvent prononce beurton, (Métathèse);
  6. Le passage d'une lettre à l'autre selon des règles localement définies par exemple : b - v, r et l etc. (Mutation)
       Par exemple, Aquisanatio devient Guisane
  7. L'addition d'une lettre à la fin. (Paragogie).

La compréhension parfaite d'une étymologie supposerait la connaissance de toutes les langues concernées, de leurs dialectes et des prononciations particulières, ce qui est plutôt difficile, surtout pour les langues anciennes. Il en résulte un nombre important de points d'interrogation. Par exemple Le Lauzet qui semble ne pouvoir dériver que de lauzes (pierres plates) pourrait aussi venir de laus (lac) si on se fie à certains lexiques de patois dont Chabran et A. Rochas d'Aiglon. De même Le Bez pourrait venir de Bétulus (bouleau) ou de bisse (cours d'eau servant à l'irrigation). Dans ce document, nous sommes beaucoup plus prudents que de nombreux auteurs et nous nous contentons de relever les hypothèses, parfois contradictoires, et d'y d'ajouter les nôtres.

D'après Paul-Louis Rousset "…les transformations linguistiques sont très variables. Les transforma-tions latines sont bien connues, les évolutions spécifiquement gauloises le sont moins.

  1. Vadum (bas-latin) donne gué (français), ga (provençal), gua (dauphinois), vaz (savoyard) et vuaz (haut-savoyard).
  2. Ca… devient cha ou même tsa plus au nord et cia en val d'Aoste.
  3. En beaucoup d'endroits, l passe à r.,
  4. Ailleurs, o se transforme en oué ou ué (diphtongation: par exemple cochon devient couesson).

Toujours pour Rousset, "Il arrive que plusieurs hypothèses subsistent … la toponymie n'est pas une science exacte et les diverses interprétations proposées pour une même dénomination … soulignent plutôt la complexité des problèmes. De même l'orthographe est souvent phonétique et romanisée." [et bien pire lorsque les idéologues de l'orthographe s'en mêlent]

Comme le disent si bien Chabrand et Rochas d'Aiglon, des dialectes [dont les patois du Briançonnais] prirent naissance ... du contact perpétuel entre les vainqueurs romains et les vaincus. Les uns durent à des circonstances heureuses [de s'élever] au rang de langues. D'autres au contraire restèrent incultes et confinés dans des régions peu étendues. Ils tombèrent à l'état de patois et bientôt même, en France, ils disparurent complètement devant les progrès du dialecte des environs de Paris devenu par force notre langue nationale. Les patois ne sont pas, comme on l'a dit longtemps, les enfants dégénérés du Français. Ils en sont les frères, humbles et rustiques il est vrai, mais des frères légitimes...

Les noms de famille ne se sont formés qu'après le 11ème siècle. Ils reflètent fréquemment les rapports de la famille avec la terre, l'origine ou le lieu d'un voyage, le métier ou le physique d'un individu (parfois inver-sé par ironie). Les plus difficiles à analyser sont les sobriquets qui relèvent de la fantaisie populaire. En l'absence de textes écrits, cette complexité, et la puissance avec laquelle les langues militaires ou com-merciales se sont imposées, ont fait complètement disparaître centaines langues, sauf dans les termes que l'on peut considérer comme neutres ou sans importance, et en particulier les noms de lieu.

3. Datation

La plupart des sources utilisent le calendrier grégorien ou y fait référence. Dans ce document nous utilisons les dates ou siècle de ce calendrier. Avant notre ère nous parlons de date avant l'ère chrétienne (aec). D'autres notations peuvent être rencontrées:

  1. La tradition médiévale utilise la notion d'avant la création du monde. l'an 2000 est l'année 6562;
  2. La tradition juive donne l'an 6713 pour l'an 2000 Grégorien;
  3. L'ère judaïque donnerait 5727 pour l'an 2000;
  4. Le calendrier musulman donne l'année 1420 ou 1416 pour l'an 2000, mais cette année compte 12 mois lunaires sans rattrapage soit environ 342 jours et un décalage de 23 jours par an.


4. Sources d'informations

Jusqu'au milieu du XXème siècle, les noms de lieux et de personnes (onomastique) ne se sont que lentement modifiés. Depuis, ils peuvent varier assez rapidement de fait de jugements (pour les noms de famille) de la création de nouveaux quartiers, du fait de l'extension de la culture mondiale, de la baisse d'intérêt pour le passé, enfin pour des raisons techniques et, en particulier, limitation des doubles emplois, ce qui a obligé La Salle, qui porte un nom très répandu, à se nommer La Salle lès Alpes plutôt que de conserver le nom de l'un de ses hameaux: Villeneuve-La Salle. La raison de cette évolution rapide est le relâchement de l'attachement à la culture locale et l'invasion par des cultures de "pays" voisins, voire d'autres conti-nents, notamment par la télévision et les déplacements, professionnels ou touristiques, de plus en plus nombreux. Il est temps, comme le disaient déjà Chabrol et Rochas d'Aiglon il y a plus d'un siècle39., de fixer ce qui risque d'être bientôt oublié comme les langues , les chansons et les usages locaux.

La méthode a consisté à relever les noms de lieu, de famille, de métiers etc. sur les cartes, dont le cadastre, dans les annuaires et auprès de ceux qui parlent encore "comme avant", notion toute relative du fait de la rapidité d'évolution des parlers locaux. Ces noms forment une liste alphabétique repérée ici dans le menu à gauche en bas. Le maximum de documents et de personnes a été consulté pour compléter les différentes définitions. Environ un tiers est satisfaisant, un autre tiers plutôt superficiel sinon douteux et le reste est en attente d'informations complémentaires. La liste des sources figure en fin de document (page 123) et le texte y renvoie systéma-tiquement par un renvoi souligné (44), sauf s'il existe un consensus général comme pour Serre, ou pour Monêtier. A l'heure actuelle, la majorité des documents consultés provient de la bibliothèque municipale de Montpellier et de Lyon, riche en histoire du pays d'Oc auquel se rattache la vallée.

La plus grande circonspection a été adoptée dans le dépouillement des documents. Certains noms sont parfois mal transcrits, notamment chez Cassini et sur les cartes d'Etat Major (IGN) par exemple Combeynot pour Combeynon ou Soulier pour Soulié, l'essentiel à l'époque étant d'établir des documents utilisables et d'une exacte géométrie. Il faut être encore plus prudent pour l'étymologie des noms. Certains spécialistes veulent tout ramener aux origines germaniques... D'autres enfin se contentent d'une apparente homonymie, voudraient que les parlers locaux découlent du français officiel et ne semblent pas comprendre qu'il puisse y avoir une culture au sud de la Loire. Il y a enfin les paresseux, malheureusement trop fréquents, qui recopient les erreurs des autres sans vérifier... Les sources les plus riches viennent d'auteurs qui maîtrisent l'occitan, le provençal ou les parlers locaux et éventuellement l'italien, le latin, le grec etc. Une mention toute particulière doit être faite pour:

  1. Lou trésor dou Felibrige de Frédéric Mistral, souvent utilisé mais pas toujours cité, par de nombreux auteurs;
  2. le Dictionnaire topographique du département des Hautes Alpes ( M. J. Roman 1884);
  3. Noms de lieu et noms de famille des Hautes Alpes d'André Faure, très fréquemment cités et suivi par:
  4. Le Dictionnaire Etymologique des noms de famille d'Marie Thérèse Morlet,
  5. Les Alpes et leurs noms de lieu, 6000 ans d'histoire de Paul-Louis Rousset,
  6. le Patois des Alpes Cottiennes de T.-A. Chabrand et A. Rochas d'Aiglon,
  7. le Dictionnaire Etymologique de A. Dauzat et al.,
  8. St. Chaffrey, approche historique et témoignages de F. Moyran-Gattefossé
  9. Images du Briançonnais de Roger Merle et bien sûr le bon vieux
  10. dictionnaire latin de Gaffiot.